La posture adaptative

Peu importe que vous soyez un expert du cycle en V ou de l’agilité, de SAFe ou de SCRUM, que vous soyez consultant ou coach, peu importe même que vous soyez orienté produit ou projet, franchement, toutes ces séparations sont des silos qui disparaissent si vous avez un bon état d’esprit. 

 

Ce qui nous pollue aujourd’hui ce sont les certitudes simplistes, les empirismes nombrilistes, les automatismes en tous contextes, la condescendance avec les autres: ceux qui ne font pas partie de la même tribu de pensée, pensée craintive qui ne s’accordera, malheureusement, qu’avec l’air du temps.

 

Ce qui nous sauve aujourd’hui c’est la connaissance. Le doute est l’allié des bonnes décisions, la gestion du stress est une qualité qui s’entraîne, les postures dominantes préhistoriques font encore des dégâts humains et économiques intolérables, la posture adaptative est à portée de main, ses valeurs sont la curiosité, la souplesse, la nuance, la relativité et la réflexion.

 

La nature a conçu un outil éprouvé pour nous adapter et surmonter la complexité et l’inconnu. Cet outil n’évoluera pas de sitôt et il est gratuit, logé dans notre cerveau.

Il est mieux compris aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été auparavant.

 

Qui voudrait s’en passer ?

 

SAFe is EVIL… mouais.

En ce moment c’est le SAFe bashing chez les agilistes. Certaines critiques sont méritées d’autres moins. Voici mes réflexions sur le sujet car il faut tout de même éclaircir certains points avant de crier « haro sur le baudet ».

  1. First rule at Scale: Don’t do it

Pour des raisons professionnelles et personnelles j’ai passé la certification SAFe SPC. Je ne suis pas devenu un membre de secte pour autant. La première chose que j’y ai entendu: « First rule at scale: Don’t do it ».

La plupart des critiques que j’entends à propos de SAFe sont des critiques sur des points qui sont inhérents à l’agilité à l’échelle.

Comment on assure les interactions humaines à l’échelle ? On évite de dépasser le « Dunbar’s number » et on met tout le monde dans la même pièce me semble une tentative de réponse intéressante.

Comment on s’assure d’avoir un logiciel qui fonctionne quand on est 125 à travailler dessus ? On a besoin d’alignement et de points d’intégration fréquents. Il faut donc se mettre d’accord sur une planification entre plusieurs équipes et le PI Planning est un outil intéressant pour cela .

On veut faire une « équipe d’équipes » et on perd forcément de la liberté au niveau « équipe » pour le bien commun. Est ce que cela est une erreur et nous éloigne des besoins et feedbacks des utilisateurs ? Très probablement, mais c’est un sujet de débat à propos de l’agilité à l’échelle, pas de SAFe en particulier.

L’important, quelque soit le framework d’agilité à l’échelle, c’est de continuer à veiller sur nos principes et nos valeurs comme de livrer régulièrement des fonctionnalités à grande valeur ajoutée pour le client. Pour ce faire il faut être vigilant à ce qu’il existe un vrai contre-pouvoir aux desiderata de quelques managers focalisés sur leur carrière plutôt que sur la réussite de leur entreprise. Cela même qui s’appuie sur leur ressenti pour décrire les réalités imaginées des expériences clients, et qui coute très cher à leur entreprise.

SAFe n’empêche pas de faire des études ethno UX en amont de la gestion du portfolio, des design sprints en pagaille, un quadrant de suivi des opportunités business basé sur l’expérience client ou même un funnel des Business Model qui respecte les fondamentaux du lean startup. En fait SAFe est surtout très léger sur pas mal de sujets (notamment portfolio lean/agile et amélioration continue) et laisse beaucoup de place pour l’expertise agile et l’orientation produit pure et dure.

     2. Il faut rendre à César…

SAFe, mis à part le PI Planning, est surtout un framework qui rassemble les travaux de références d’autres penseurs émérites comme Donald Reinertsen, John Kutter ou Peter Drucker. En gros SAFe n’invente pas grand chose. Quand on lit Reinertsen par exemple, on comprend que c’est un désastre économique de surcharger une équipe. SAFe contient aussi les atouts pour défendre l’efficacité économique, l’agilité et l’humain.

La question qui se pose à mon avis c’est surtout comment et avec quel état d’esprit SAFe, ou l’agilité à l’échelle, est mise en oeuvre ? Quelle est la vision et quels sont les objectifs de cette transformation ? Les acteurs de la transformation sont-ils bien au courant et alignés sur ces objectifs et cette vision ?  SAFe reprend les principes du servent-leadership donc le problème ne viendra pas de SAFe en particulier (qui n’est simplement qu’un produit bien marketé) mais surtout des choix de l’entreprise qui passe à l’échelle. Celui qui voudra continuer à faire comme avant pourra le faire et s’entourera des consultants agiles qui l’aideront dans ce sens mais SAFe ne contient pas en lui même le mal absolu. Ce n’est qu’un outil qui peut être utilisé à bon ou à mauvais escient.

3. On commence par quoi ? Culture ou organisation… 

J’ai vu la mise en oeuvre d’agilité à l’échelle en partant des équipes et du terrain. C’est ce qu’il y a de plus efficace, ça fonctionne et on respecte l’auto-organisation. On renforce l’adhésion et l’engagement et surtout les réalités du terrain.

Mais comment le faire sur 12 000 personnes qui travaillent en cycle en V ? Ce n’est pas si simple.

Les collaborateurs ont besoin de repères, de rôles et de responsabilités clairement définis, ils ont besoin de clarté pour faire les premiers pas. L’utilisation d’un framework (qu’il soit sur-mesure ou existant) a des vertus dans la conduite du changement. Je ne dis pas qu’il ne méritera pas d’amélioration continue et que c’est nécessairement la première étape mais c’est un premier pas qui peut avoir du sens sur de très grands groupes.

Jonh Kotter parle d’ancrer le changement dans la culture de l’entreprise lors de la dernière étape de « conduire le changement ». La création d’un framework agile/lean demande du temps et un ancrage profond de l’amélioration continue dans la culture de l’entreprise. Tout les entreprises ne sont pas capable de faire du Spotify.

Le client veut des résultats rapides et décide d’utiliser un Framework. C’est son choix et c’est un sujet de débat possible et très interessant.  SAFe peut être choisi comme un premier pas dans la mise en oeuvre d’un framework auto-défini, SAFe ne contient pas intrinsèquement d’incompatibilité avec ce scénario. Il n’est pas rare de partir de SCRUM pour finir en SCRUMBAN ou bien d’expliquer aux équipes comment ils vont travailler avec SCRUM (et de leur imposer certaines règles au départ comme le management visuel) avant de leur laisser toute autonomie pour définir leurs propres règles.

     4. Connaitre avant de critiquer

Restons bienveillants et intelligents. Ne faisons pas de critique à l’emporte pièce en jetant le bébé avec l’eau du bain. Le jugement a priori, et sans interactions avec l’autre, est ce qui construit les silos.  Il y a de nombreuses critiques à faire sur SAFe mais il faut le faire en sachant de quoi on parle. Oui SAFe fait de l’argent… comme beaucoup d’autres produits. Peut-on lui donner la même place dans la culture agile que SCRUM, KANBAN ou XP ? Non, ce n’est pas comparable. Les meilleurs intentions peuvent être détournées à des fins commerciales mais faire de l’argent n’est pas mal en soi.

Pour conclure…

SAFe déchaine beaucoup de critiques et de bashing mais il faut éviter de suivre les mouvements de foule car c’est plus la passion que la raison qui les guide. L’agilité n’est pas un mode, c’est une nécessité pour des raisons scientifiques. Sans la culture et l’état d’esprit qui  font corps avec l’Agilité, les entreprises dépenseront beaucoup d’argent mais n’en tireront pas les bénéfices. Gardons la raison et la capacité à nous remettre en question, comme le fait la science, pour accompagner au mieux nos clients, et surtout leurs collaborateurs, vers l’épanouissement et la réussite.

 

 

 

 

 

Comment adresser efficacement le changement de posture du manager dans une transformation digitale ?

Je prends le temps de rédiger cet article pour permettre de clarifier un point important à prendre en compte pour aborder correctement une transformation au sein d’une entreprise, comme c’est le cas lors de transformations agiles ou digitales.  Ce point suscite pas mal de débats ou d’articles et qui font souvent les mêmes erreurs.

On entend souvent parler de la difficulté à faire évoluer certains managers qui ne sont pas prêt à changer, ou qui seraient simplement des freins à la transformation à cause, par exemple, de leur état d’esprit. Mon point consiste à bien expliquer pourquoi l’ordre des étapes stratégiques du changement est important et notamment pourquoi il n’est pas recommandé de vouloir s’attaquer dès le début au changement de postures de tous les managers.

Si vous vous attaquez à ce chantier dès le départ alors n’attendez pas qu’il soit terminé pour attaquer tous les autres chantiers. Si vous commencez par cela, vous allez dépenser, ou faire dépenser, un investissement en temps et en moyens inutile. Je ne dis pas que ça ne sert jamais à rien car certains managers y arriveront vite, mais vous risquez de passer beaucoup de temps sur des gens qui ne changeront pas et je vais vous expliquer pourquoi.

En fait, tout ce qui tient à la culture de l’entreprise est ce qui prend le plus de temps à faire évoluer. C’est un processus qui s’apparente plutôt au deuil et ce dernier prend du temps, sans qu’il soit possible de le quantifier précisément.

Ce n’est pas par hasard que John P. Kotter  nomme la huitième et dernière étape de son livre de référence « conduire le changement »: « Ancrer les nouvelles pratiques dans la culture d’entreprise ».

Une des clés de compréhension pour avancer sur ce sujet est la notion de « distance hiérarchique » de Geert Hofstede. Voilà un article qui permet de comprendre cette notion ainsi que les limites de la théorie initiale. Pour faire simple; la posture d’un manager est fortement liée à la culture de l’entreprise, voire du service dans lequel il travaille. Elle  est aussi bien évidemment influencé par son passé, sa culture propre et d’autres causes particulières à chacun comme l’éducation. Faire évoluer un manager d’une posture « order and command » vers une posture de servent leader, au service de ses subordonnés, est d’autant plus difficile que la culture d’entreprise ne récompense pas ce type de comportement. Les effets de la culture d’entreprise dont je parle ici se matérialiseront particulièrement à certains moments:

  • lors du recrutement (on recrute généralement inconsciemment des candidats qui nous ressemblent)
  • lors des promotions (salariales et hiérarchiques)
  • lors des avertissements ou tout recadrage qui joue sur la peur

On ne peut pas attendre d’un manager qu’il se comporte différemment du jour au lendemain si il continue à être dans une entreprise qui ne le reconnait pas, et notamment par les aspects RH qui pourraient être négligés mais qui sont des prérequis indispensables pour mener à bien.

Comme le dit la blague:  « Combien de psychiatres faut-il pour changer une ampoule ?
– Un seul, mais il faut que l’ampoule ait vraiment envie de changer.  »

Le changement d’un comportement individuel passe obligatoirement par la volonté de l’individu à vouloir changer. Une des clés d’une transformation digitale réussie, en conservant les managers, passe par la capacité à leur donner envie de changer.  Il faut qu’il soit libre de le faire pour un changement profond et réel des postures. Je ne m’attarderai pas dans cet article sur les moyens de convaincre un manager mais il n’y a pas de recette miracle pour tous les managers. Je pense que le respect de l’individu et de son unicité fait parti des clés pour aborder la question correctement. Mettre tous les managers dans le même sac est une erreur grave qui, à mon sens, participe à la création de silos entre les humains, à raison d’étiquettes simplificatrices.

Une transformation digitale est complexe car c’est une aventure humaine. Elle évolue en permanence et c’est pour cela qu’elle doit sans cesse se confronter à la réalité du terrain et accepter de se réinventer petit à petit. Une transformation est plus durable si tous les acteurs de l’entreprise sont aussi les acteurs de leur changement, en cohérence avec la réalité de leur quotidien professionnel.